Il arrive que certains parents se projettent dans leur(s) enfant(s), les voyant comme un prolongement d’eux-mêmes, et la possibilité de réaliser à travers eux leurs rêves déçus. Ce thème inhabituel dans la littérature d’enfance, Cao Wenxuan l’aborde pour raconter l’histoire de Yulu qui peine à devenir l’artiste peintre que son propre père aurait bien voulu êtreà
Les parents de cette enfant unique placent beaucoup d’espoir dans sa réussite, jusqu’à lui en imposer quasiment le chemin. Suzy Lee use de son talent de scénographe pour mettre en images la famille dans cet huis-clos d’un appartement, enchanté par les rêves du père qui saturent la vision : tableaux multiples, dessins encadrés, partout des pinceaux, des crayons, de la peinture, s’opposent aux motifs que la mère puise dans la nature pour créer grâce à de multiples voilages et tissus imprimés de feuillages un environnement inspirant pour l’enfant entourée, étouffée, par les symboles de sa destinée. L’illustratrice interprète le récit de Cao Wenxuan, l’angle de vue souvent décalé amplifie le ressenti du lecteur confronté à cet univers tout aussi artificiel que les projets parentaux. Mais Cao Wenxuan use d’un stratagème emprunté au fantastique pour les dérouter : sur le tableau à peine achevé par Yulu, les couleurs fondent et se mêlent pour contrarier cet avenir tout tracé, tout bouché.
Pourtant Yulu n’a de cesse de trouver sa propre voie, et son portrait cent fois remis sur le chevalet, cette toile cent fois recouverte, témoignent de sa volonté de trouver par elle-même ce qu’elle sera, qui elle sera. La dominante de noir, en francs et épais traits gras, cerne et limite le monde où la couleur a peu de place, et où seuls les murs, et des fantômes de fenêtres, reflètent celles d’une autre vie. Malgré sa peine, Yulu s’entête, et n’abandonne pas. Sur le grain de la toile de lin qui l’obsède, le bleu du ciel, les fleurs et même le soleil, gagnent peu à peu de la place, et dans un souffle comme celui du vent dans les rideaux, l’horizon de Yulu s’ouvre enfin. Car c’est sa propre trace qu’elle inscrira finalement dans ce chemin parental.
Une symbiose parfaite entre Cao Wenxuan et Suzy Lee, qui témoigne de la part de la plasticienne de sa très fine et sensible approche de l’œuvre littéraire.